Certaines organisations font l’avenir; d’autres le subissent. Qu’en est-il de la vôtre?
Une analyse de Mathieu Pelletier, vice-président, Acceptabilité sociale et Relations avec les communautés de Pilote groupe-conseil, et de Me Pierre Renaud, avocat-conseil et chef du groupe de droit de l’environnement au cabinet d’avocats McCarthy Tétrault.
Comme toute crise majeure, la pandémie actuelle provoquée par la COVID-19 force l’ensemble de la société à reconnaître que beaucoup de choses longtemps tenues pour acquises ne le sont pas et, surtout, à comprendre que l’après-crise doit être abordée avec de nouvelles façons de penser, de voir, de faire ou d’agir.
En ce qui concerne plus particulièrement l’économie, il ne fait aucun doute que sa relance durable sera conditionnelle à la capacité des entreprises à s’adapter à un nouveau contexte caractérisé par des prises de conscience plus aiguës, en particulier sur les plans écologique et social. Cette nouvelle réalité suscitera et nourrira inévitablement des tensions sociales qui seront des sources de controverses et d’enjeux réputationnels pour les organisations. À défaut de la prendre en compte, elles auront à gérer des risques non négligeables pour leurs activités et leurs projets et, ultimement, pour elles-mêmes.
Les organisations doivent donc avoir une vision stratégique claire qui prend appui sur une approche pragmatique centrée sur les principes du développement durable et une compréhension fine des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) qui influent de plus en plus fortement sur les activités et les projets des organisations, de même que sur les décisions des investisseurs.
Preuve en est la décision d’Amazon de renoncer à son projet de construire, dans le quartier new-yorkais du Queens, son nouveau siège social susceptible d’accueillir 25 000 emplois, après avoir fait face à une réaction vive et inattendue d’élus locaux et de dirigeants syndicaux qui dénonçaient, entre autres, les quelque 3 milliards de dollars d’avantages fiscaux promis au géant de la vente en ligne de même qu’un risque d’embourgeoisement (en anglais gentrification) accéléré du quartier de Long Island City.
Les organisations doivent être pleinement conscientes que le modèle décisionnel classique « décider, annoncer, défendre » (DAD) n’est plus possible dans un contexte de développement durable où doit primer en tout temps un équilibre entre ses trois piliers (économique, environnemental, social). En d’autres mots, la seule dimension économique d’un projet ne suffit plus à le « vendre » ni à l’«imposer » ni à le faire avaliser par la population.
Au-delà de la substitution du modèle traditionnel à un autre plus collégial [«concerter, analyser, choisir» (CAC)], il faut une métamorphose qui fasse place à une nouvelle triade - «dialoguer, décider, agir» - pour obtenir l’acceptabilité sociale qui ne doit jamais être tenue pour acquise. Peu importe le stade d’un projet (conception, planification, réalisation, exploitation ou réhabilitation), les enjeux environnementaux et sociaux demeurent prioritaires, d’où l’importance d’établir et d’entretenir, avec la communauté d’accueil, une relation de confiance fondée sur un véritable dialogue avec les parties prenantes, c’est-à-dire des échanges empreints de transparence, d’ouverture, d’écoute et de respect. Il ne s’agit plus d’une condition de réussite, mais d’une exigence incontournable dont la non-observation comporte un double risque, financier et réputationnel.
Pour toutes ces raisons, les organisations doivent :
développer une approche de développement durable fondée entre autres sur une analyse rigoureuse des enjeux et des risques à gérer dans des environnements de plus en plus complexes et mouvants;
déterminer correctement les parties prenantes avec lesquelles elles doivent dialoguer;
avoir une compréhension juste et précise des différentes communautés avec lesquelles elles doivent interagir;
élaborer un plan d’acceptabilité sociale pragmatique axé sur des résultats tangibles;
apprendre à anticiper, car le monde change de plus en plus rapidement et brutalement.
Fortes d’une approche de développement durable et d’une compréhension fine de leurs écosystèmes respectifs, les organisations diminueront significativement leur vulnérabilité face aux enjeux environnementaux et sociaux et, par le fait même, aux risques de controverses qu’ils comportent. Ce faisant, elles mettront toutes les chances de leur côté pour faire l’avenir plutôt que de le subir.
Mathieu est titulaire d’un doctorat en aménagement du territoire et en développement régional (Ph. D. ATDR) de l’Université Laval. Son parcours dans le milieu de la recherche universitaire sur près de 15 ans lui a permis de développer une expertise dans les domaines de l’aménagement et du développement controversés, de la participation publique et de l’acceptabilité sociale des projets. Après avoir fondé sa propre entreprise spécialisée en gestion d’enjeux controversés, il s’est joint à l’équipe de Pilote groupe-conseil à titre de directeur des relations avec les communautés. Mathieu est lauréat du Programme de bourses postdoctorales Banting du Canada (2012-2014) et membre du conseil scientifique du réseau OPDE [Outils pour décider ensemble] (2015, 2016, 2017).
Me Renaud est avocat conseil chez McCarthy Tétrault depuis 2012 et titulaire d’une maitrise en administration publique de l’ENAP. Son parcours des 33 dernières années à titre d’avocat, de haut dirigeant, d’enseignant, de conférencier et de membres de conseils d’administration lui a permis d’acquérir une expérience et une expertise uniques dans le secteur de l’environnement, du développement durable et de l’acceptabilité sociale au Québec. Il a notamment été président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) de 2007 à 2012 et commissaire de 1993 à 1996; conseiller juridique chez Hydro-Québec; avocat au ministère de l’Environnement du Québec; chargé de cours au programme de maîtrise en droit de l’environnement à l’Université de Sherbrooke et au baccalauréat à l’UQAM pendant 10 ans. Me Renaud a été récipiendaire du Prix Hommage Pierre-Lachance du Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec (CETEQ) en reconnaissance de ses accomplissements en développement durable et de son engagement envers le rayonnement de l’économie verte.