L’incontournable, mais encore indéfinissable acceptabilité sociale
Il peut sembler paradoxal qu’un concept apparu il y a plusieurs décennies maintenant, et dont il n’existe toujours pas de définition consensuelle, soit devenu aujourd’hui une « exigence incontournable ».
L’acceptabilité sociale demeure en effet une « notion floue, ouverte à des interprétations diverses[1] » de sorte qu’elle est l’objet de qualificatifs d’autant moins éclairants qu’ils relèvent très souvent de considérations essentiellement idéologiques. Alors que certains individus ou organisations la décrivent comme « une réalité inéluctable » ou « un mécanisme pour le succès économique », d’autres la dénoncent comme « un concept cynique », « un outil de fabrication du consentement » ou « l’art de faire avaler le béton aux citoyens ». D’autres, qui ne pèchent manifestement pas par excès de nuance, l’ont même associée à « une boîte de pandore (susceptible) d’ouvrir la porte à l’extorsion légalisée[2] (sic) », tout en formulant une mise en garde contre ses trois dérives que seraient « 1) un concept mal défini, 2) une porte ouverte à l’arbitraire et 3) une menace à la primauté du droit[3] ». Rien de moins!
Acceptabilité sociale vs acceptation sociale
À défaut d’une définition totalement satisfaisante, il est encore possible d’éviter de faire de cet impératif un jargon (buzz word) tendancieux en prenant au moins conscience de ce qu’il n’est pas. À cet égard, dans une communication qui demeure d’actualité et pertinente[4], la Confédération des syndicats nationaux (CSN) rappelle avec à-propos que l’acceptabilité sociale (qui suppose l’information et la consultation des parties prenantes en amont de la prise de décision) ne doit pas être confondue avec l’acceptation sociale (qui vise l’assentiment à un projet en aval de la décision prise par un promoteur).
Elle signale aussi que l’acceptabilité sociale :
n’existe pas de prime abord et doit se construire;
est un processus visant non pas la recherche de l’unanimité, mais plutôt l’atteinte d’un consensus;
n’est pas statique ni définitive, mais mouvante et évoluant au fil du temps et des événements;
n’est pas neutre puisque les parties prenantes qui participent à ce processus (p. ex. les promoteurs, les groupes d’intérêts et de pression, les interlocuteurs ou les acteurs socioéconomiques et environnementaux, les autorités gouvernementales, etc.) promeuvent et défendent des valeurs, des principes, des intérêts et des arguments qui leur sont propres, certes, mais généralement divergents, voire contradictoires.
Les impacts de l’acceptabilité sociale
Bien qu’elle tende vers l’émergence d’un consensus entre des parties aux intérêts divers et divergents, l’acceptabilité sociale peut conduire à l’acquiescement comme au rejet d’un projet. En d’autres mots, l’acceptation sociale n’est pas l’aboutissement inéluctable d’une démarche d’acceptabilité sociale.
Omniprésente dans les débats, les discours et les argumentaires d’acteurs impliqués dans des projets controversés, cette exigence multiforme résonne différemment parmi les parties prenantes et au sein des communautés où leur réalisation est envisagée. Elle n’est pas pour autant un mal nécessaire, encore moins une démarche de communication stratégique ou un exercice de relations publiques.
De fait, même si elle demeure indéfinie, l’acceptabilité sociale est un passage obligé qui peut s’avérer gratifiant et profitable pour toute organisation, à condition qu’elle le franchisse comme il se doit, ce qui implique d’abord et avant tout une intelligence terrain.
C’est précisément pour cette raison que la planification et l’exécution de cette démarche ne doivent pas être laissées entre les mains d’apprentis sorciers dont l’improvisation n’a d’égale que l’inaptitude à la comprendre et à la maîtriser, mais assurées de concert avec des professionnel.le.s aguerri.e.s qui savent en poser les jalons et en mesurer les conséquences.
[1] FORTIN, Marie-José et Yann FOURNIS, « Vers une définition ascendante de l’acceptabilité sociale : les dynamiques territoriales face aux projets énergétiques du Québec », Natures Sciences Sociétés, 22, 231-239 (2014).
[2] INSTITUT ÉCONOMIQUE DE MONTRÉAL (IEDM), « La boîte de pandore de l’" acceptabilité sociale ", communiqué de presse du 1er mars 2017.
[3] IEDM, « Les trois dérives de l’acceptabilité sociale », Les notes économiques, mars 2017.
[4] CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX (CSN), L’acceptabilité sociale, Module Recherche, Service des relations du travail, 2016, 19 p.